“Il faut créer de l’imprévisible” Entretien avec Gaël Faye








Peut-être que dans un univers parallèle, qu’on ne connaît pas encore, le monde appartient aux sensibles qui savent raconter le monde, peu importe le support. Jongleur, habile, poète précis, Gaël Faye s’est imposé ces dernières années comme un conteur, qui déborde d’histoires et qui cheminent vers la paix. Grande discussion, à quelques jours de sa venue à L’Autre Canal.
Comment commencer, sans évoquer la joie simple de reprendre les concerts et la tournée ?
Je suis comme sur un petit nuage. Il y a un an, à la même heure, c’était la déprime, et maintenant c’est la ferveur. Les choses peuvent évoluer très vite, c’est une des leçons à tirer de cette période.
Tu as douté, à un moment, de pouvoir jouer à nouveau ?
Au début de l’année, j’ai connu cette phase de doute oui. L’espoir devenait difficile. Les premiers résultats des vaccins laissaient penser que les variants résistaient. On sortait du confinement automnale et on parlait du prochain. Dans la Culture, on n’avait ni le son ni l’image, pas la place d'espérer une réouverture. Ce qui est délicat, c’est l’absence de perspective. Dans mon équipe, des gens se sont reconvertis. Forcément, là, on doute.
Et puis soudain, tout a repris. Progressivement bien sûr, avec des jauges, avec des publics assis. Une période étrange, jusqu’au bout. Maintenant, on savoure la joie simple de se retrouver et de pouvoir jouer comme avant ou presque.
Il faut créer de l’imprévisible
Qu’est-ce que tu découvres sur Lundi Méchant, avec le temps ?
C’est toujours un peu pareil, quand on fabrique un album, on ne le connaît pas vraiment. Une chanson se révèle sur scène. Avant, ça ne sert à rien d’essayer de deviner son destin, c’est le public qui raconte son histoire en s' emparant.
Certaines chansons dans lesquelles ont croit fermement ne prennent pas, d’autres qu’on hésitait à jeter deviennent des références pour les gens. C’est beau. Boomer par exemple, ne devait pas figurer sur l’album. C’était un délire, venu d’une période ballet funk trap, très personnelle. Disons qu’elle était d’une énergie différente.
Est-ce que ce n'est pas l’essence de la création, d’un certain côté, de tenter des choses ? Tu pourrais faire deux fois le même album ?
Je ne pense pas. Mais certains artistes réitèrent par goût, et leur public est fidèle. Je ne sais plus quel artiste disait que son succès ne venait pas d’une recette secrète, mais plutôt de ses goûts personnels : très populaires. Dans nos métiers, beaucoup de gens veulent juste vendre du rêve. Je dois avouer que je ne crois pas au marketing, il faut créer de l’imprévisible.
Donc, quand tu commences à travailler sur un album, la nécessité, c’est d’explorer ?
Toujours. J’essaye de me renouveler - sans me perdre. Je vois plutôt ça comme une mue. C’est un travail long, ardu, mais instinctif, comme creuser un sillon. Ceci-dit, je ne suis pas dans une démarche de faire table rase à chaque nouveau projet. Je me rends compte que l’essence, c’est de partir d’une histoire, la mienne, pour trouver des résonances universelles.
J’essaye de me renouveler - sans me perdre. Je vois les nouveaux albums comme des mues.
Qu’est-ce que tu as tenté, ou corrigé, ou inventé, tiens, pour Lundi Méchant ?
Je me suis rendu compte qu’il y avait trop de mots dans mes chansons. Alors, j’ai commencé à faire de la place pour le silence. Je n’osais pas le faire avant. J’ai été bercé par le rap. Demain c’est loin, d’IAM, pour moi c’est la référence absolue. Mais il faut digérer, et rendre le propos accessible, surtout pour les concerts. C’est la force motrice de ma musique, parce que pour moi, sans concert, ça ne sert à rien de faire de la musique.
Quand je commence à travailler sur un nouveau projet je me pose des questions simples : Est-ce que j’ai encore des choses à dire ? C’est aussi simple que ça.
Et il te reste toujours des choses à dire ?
C’est Franz Fanon qui écrit dans la conclusion de Peaux Noires, Masque Blanc “Il ne faut pas enfler le monde de sa personne”. Il faut se mettre dans cette position quand on va faire écouter sa musique. Est-ce que ça vaut la peine de prendre du temps aux gens si je n’ai pas quelque chose de particulier à dire ? Je me pose souvent la question de l’utilité de mon art, pour éviter de participer à la cacocophie. Je cherche à rendre les choses plus claires maintenant.
Pour faire des choses claires, il faut avoir une raison précise.
Ça veut dire que la clarté peut l’emporter sur la beauté ?
Disons que je crois beaucoup à la clarté de l’émotion. Une émotion palpable et vécue est un bon matériau. Il faut que je sois traversé par une émotion pour que je la propose en retour. Mais à partir du moment où je suis traversé, c’est une urgence de le dire au monde.
Quand j’ai commencé à écrire Petit Pays, ça pouvait paraître absurde de passer tout ce temps à écrire un livre dans lequel peut-être, personne ne pourrait se reconnaître. Sauf que pour moi c’était clair. J’avais besoin de prolonger ce sentiment d’enfance, avec ce cadre, et besoin de raconter un monde oublié.
C’était ton urgence ?
Oui, voilà. Je ne pouvais sans doute rien faire d’autre à ce moment-là, ça s’imposait. Pour faire des choses claires, il faut avoir une raison précise, qui va servir à entretenir l’urgence. D’ailleurs, ça vaut aussi dans ma façon de collaborer avec d’autres artistes
Qu’est-ce que ça t’évoque la Première Pluie ?
La première pluie, pour moi, c’est une date. C’est le 15 août, au Rwanda. C’est le jour de “La pluie des vaches”, comme au Burundi d’ailleurs. C’est la pluie qui vient après la saison sèche, la première, celle qui va ramener la végétation et rendre le paysage plus vert. Et puis, la vache est un animal sacré. Donc cette première pluie, la pluie des vaches, qui revient chaque année, est une bénédiction.
Un contenu proposé par Première Pluie.
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