Rencontre entre Synergie et Dominique A
Dominique A a joué à L’Autre Canal le 20 juin 2018. Cette date fut l’occasion d’une rencontre organisée par L’Autre Canal entre les membres du dispositif de réinsertion à l’emploi Synergies, porté par le conseil départemental, et Dominique A. L’artiste s’est engagé via son association Des Liens à ne pas priver de culture des publics en situation de précarité et en risque d’isolement. La préparation de cette rencontre fut aussi l’opportunité d’une initiation au journalisme musical. Ainsi Eric, Claudine, Christine, Anthon, Pierre, Gilles ont revêtu les habits de reporters pour un entretien décontracté avec un artiste chaleureux.
Synergies : Comment composez-vous vos chansons ? Suite à des événements de votre vie ?
Dominique A : Par période, je ne compose pas au jour le jour. En tournée, je ne compose rien du tout. Cela m’embête parce qu’on me demande de créer des chansons pour des gens mais, en tournée, je n’ai pas l’esprit libre.
Synergies : Parce que vos journées sont trop remplies ?
Dominique A : Oui, je crois que pour écrire des chansons, avoir du temps pour ne rien faire. Alors on bosse mais ce n’est pas les trois-huit. Il faut avoir l’esprit dégagé. J’écris toujours hors tournées. Quand j’écris, en général, je remets une machine en route. J’écris d’abord des choses qui ne sont pas terribles puis cela vient au bout d’un moment. Enfin ça devient presque quotidien. Une histoire que l’on m’a racontée me donne une idée, une phrase que j’ai lue dans un livre… ou un livre en entier. Ça peut être une observation, une réflexion. J’ai pas mal d’idées quand je marche assez longtemps, comme si la marche générait des substances qui font que votre esprit se libère. Il y a des associations d’idées qui ne viendraient pas si vous n’étiez pas en mouvement. Mon corps est dans une disposition d’esprit quand je fais du vélo ou quand je marche. Je pars et mes idées viennent. A voir si ça fait une chanson ou pas.
Synergies : Etes-vous plus sur le texte ou sur la musique au départ ?
Dominique A : Je pars souvent du texte. Je trouve que la musique définit quelque chose d’assez précis et met le texte au garde à vous. Tandis qu’un texte a plein de musiques possibles. C’est plus simple d’avoir une base solide puis de s’amuser musicalement, soit tout seul, soit avec des gens. Je ne peux pas aller en studio avec une musique composée en groupe et me dire : « Ah bah maintenant, faut que je ramène un texte là-dessus et faut que je le chante ! ». Pour moi c’est l’horreur, le cauchemar ! Je sais que des gens fonctionnent comme ça. Notamment des gens qui sont dans des groupes, ils font la musique, la suite d’accord puis ils disent au chanteur que c’est à lui. C’est une horreur, je ne sais pas comment ils font.
"Des gamins m’ont dit qu’ils ne dansaient pas sur ma musique
mais sur mes mots"
Synergies : Ils font peut-être du yaourt ?
Dominique A : Il y a des gens qui composent en yaourt et qui mettent après des mots dessus. Pour moi, c’est encore plus mystérieux. Mais il y a des bons résultats, je ne comprends juste pas comment ils font. Une fois, on m’a demandé d’écrire pour un artiste qui avait composé toutes ses chansons en yaourt. C’était impossible, ça ne m’évoquait rien.
Synergies : Il faut forcément qu’il y ait un sens ?
Dominique : Oui… mais je ne voulais pas l’admettre avant. J’accorde une importance de plus en plus grande au texte même si mon but est de faire de la musique. Je travaille toujours la musique mais je pense que pour un type comme moi, avec ma voix, les gens n’accrocheront pas à la musique si je n’ai pas un texte fort. C’est venu aussi d’une fois où un gamin m’a fait une réflexion. C’est une histoire que je raconte souvent vu qu’elle est très parlante. Des gosses dansaient sur une de mes chansons. Au bout d’un moment, je leur ai dit que j’imaginais qu’ils n’écoutaient pas ce genre de musique d’habitude. Je leur ai demandé comment ils arrivaient à danser dessus. Un gamin m’a dit qu’ils ne dansaient pas sur ma musique mais sur mes mots. Ça a été un déclic, comme la vérité sort de la bouche des enfants.
Synergies : Il y a la musique des mots ?
Dominique A : Oui, ce gosse de neuf ans avait tout juste. Il m’a laissé bouche-bée.
Synergies : Comment définiriez-vous votre univers poétique ? On perçoit les thèmes de la femme, de la nature.
Dominique A : Il est vrai que les derniers albums sont plus tournés vers la nature, le rapport au monde vivant, le minéral, l’animal, le végétal. J’ai toujours été sensible à ça mais c’est de plus en plus marqué dans ce que j’écris. Je trouvais notamment intéressant de chanter la campagne, de ne pas la chanter en mode feu de camps avec une guitare en bois mais de la mettre en scène avec un côté rock. Justement pour créer une forme de contraste très fort. La campagne est un lieu qui peut sembler inanimé mais qui est, à mes yeux, plein d’énergie. Il y a quelque chose de très électrique même dans les rapports entre les gens. J’ai vécu à la campagne quand j’étais gamin puis j’y ai passé des étés entiers. J’ai senti que la campagne n’était pas seulement bucolique mais qu’elle était aussi chargée d’une forme de violence.
Synergies : Dans la région, la série Zone Blanche est sortie il n’y a pas longtemps et ça rappelle un peu Twin Peaks.
Dominique A : Twin Peaks en mode lorrain (rires) ? Même si les villes continuent à grossir, beaucoup de gens vivent en milieu rural. Il est intéressant d’en parler. Ce n’est pas systématique mais il est vrai que je suis passé d’un truc textuel tourné vers les villes à quelques chose de plus… rural mais avec un son plus urbain. Ce que vous allez voir ce soir est assez rock, les deux batteries envoient. A la rentrée, je ferai une tournée très acoustique en solo, ça n’aura rien à voir. L’idée est de faire deux tournées différentes, une boum-boum et une très calme. Suivant les salles, c’est bien de ne pas proposer des choses similaires. Jusqu’à présent, je faisais ce genre de truc dans les théâtres et ce n’est pas adapté.
Synergies : Comment arrivez-vous à contrôler votre image ?
Dominique A : Je ne la contrôle pas du tout ! On la contrôle pour moi (rires). Non plus sérieusement, il y a des choses toutes bêtes comme contrôler ses photos. Mais sincèrement, je ne suis pas obsédé par mon image. C’est même un problème pour les gens qui travaille avec moi. Je suis un dinosaure, tout ça m’indiffère. Vous allez comprendre tout de suite (ndr : Dominique A montre son téléphone portable, un modèle antique).
Synergies : Tout est dit !
Dominique A : Pour mes 50 ans, on veut m’offrir un smartphone. J’ai demandé qu’on ne me fasse pas ça.
Synergies : Il y a toujours des téléphones à touches mais à grand écran.
Dominique A : C’est peut-être la solution ! Non j’ai des blocages avec ça. Ce qui m’importe, c’est d’avoir de beaux objets. Pour le prochain disque, on a fait une séance de photos. Une photo est ressortie, je ne la trouvais pas extraordinaire mais un graphiste l’a retravaillée et en fait quelque chose de très beau. Je suis sensible à cet aspect des choses mais plus pour proposer un bel objet que pour avoir une belle image. Je suis attaché aux objets, aux bouquins, aux disques.
Synergies : Avez-vous ce même attachement en studio ?
Dominique A : Tout à fait ! Je peux enregistrer avec des instruments contemporains mais que s’ils ont un côté tactile. Pas du tout via un ordinateur. En studio, on travaille évidemment avec un ordinateur mais je ne m’en charge pas. Moi, j’enregistre sur un enregistreur 8 pistes avec carte SD.
Synergies : Ce dernier album a-t-il été enregistré en numérique ?
Dominique A : Le dernier a été enregistré en numérique. Celui qui sortira a été enregistré chez moi sur mon huit pistes numérique. Puis il a été repassé sur une console analogique qui lui a donné un son beaucoup plus chaleureux. On a voulu repasser le résultat final sur des bandes à l’ancienne, il n’y avait rien de plus qu’un peu de souffle supplémentaire parce que la console avait déjà donné suffisamment de chaleur.
Synergies : Vous avez une préférence entre le numérique et l’analogique ?
Dominique A : L’analogique a bien sûr plus de chaleur mais je ne suis pas obsédé par ça. Ça dépend des projets, si vous faites un truc plus électronique ou non…
Synergies : Il n’y a pas une recherche particulière ?
Dominique A : J’ai des copains qui sont obsédés par ça mais pas moi. Je crois que je n’ai pas l’oreille assez exercée et affutée. Je vais entendre si le morceau est bien, s’il est bien arrangé, si le son global est bien mais pas si ça peut être mieux.
Synergies : Nous avons visité un studio à L’Autre Canal. C’est une sorte de cage très froide pour travailler.
Dominique A : C’est vrai qu’il y a des studios qui sont bien pour travailler mais qui sont souvent très froids. Pour Toute Latitude, nous sommes allés en Bretagne dans un gite aménagé en studio, avec de la lumière du jour et ça change la donne. Nous étions dans la nature en sortant du studio, c’est un autre apport. Pour La Fragilité que j’ai enregistré dans ma chambre, à la lumière du jour, le mixage a eu lieu dans un studio, au bord de la Méditerranée. Le studio avait une ouverture sur la mer mais ne coûtait rien du tout. Le cadre est important parce que lorsque l’on pense à son disque, on pense aussi à la manière dont il est fait. Donc si vous êtes dans un endroit où vous n’avez pas été bien, vous y repenserez quand vous jouerez vos chansons. Ça joue énormément y compris dans ce que vous produisez même si je ne peux pas dire en quoi. Il faut travailler dans des lieux où on a envie d’être. Après, les studios froids, ça reste une façon de travailler dans un cadre professionnel. Toutefois, avec la technologie moderne, on peut emmener son matériel partout. Sans dire que ça coûte rien, le truc sur lequel j’ai enregistré mon disque vaut 300€ à la base.
Synergies : Quelle est l’étape la plus importante en studio pour le rendu final ?
Dominique A : Toutes. Toutes les étapes sont importantes. La prise de son, la performance, le mixage et le mastering. Le mastering, c’est l’étape où vous assemblez les morceaux ensemble et vous unifiez le son et le gonflez un peu. C’est une étape généralement assez chère qui dure un jour ou deux dans un studio un peu particulier. Elle est primordiale parce que l’avenir du disque se joue sur cette ou ces journées. Un bon enregistrement avec un mauvais mastering… Vous pouvez travaillez pendant un an, deux ans sur un disque… si le mastering est pourri, votre travail est salopé.
Synergies : De l’enregistrement sur le petit huit pistes numériques au mastering, on doit sentir la différence.
Dominique A : Oui mais en même temps, ce sont les mêmes chansons. Il faut juste que ça soit mieux et pas gâché. Ce que je fais beaucoup, quand je sors un disque, c’est de faire aussi un autre disque avec des inédits vraiment faits à la maison. Donc la seule étape extérieure est le mastering. En général, je confie toujours cette étape à une ingénieuse du son qui est à Bruxelles et qui travaille très bien. Elle optimise, donne un peu de chaleur et de corps à ce que je fais, mais elle ne change pas grand chose.
Synergies : Il faut éviter de dénaturer ?
Dominique A : Oui, il ne faut pas dénaturer, juste que ça soit mieux. Mais des fois, il y a des masterings qui dénaturent et il faut les reprendre. Il m’est déjà arrivé de reprendre cette étape plein de fois et ça rend fou parce que vous ne savez plus ce que vous entendez. Vous vous dites que ça n’est pas possible et vous vous sentez seul. Je déteste le mastering !
Synergies : Est-ce qu’il y a des morceaux auxquels vous êtes attaché et d’autres que vous n’aimez plus depuis un moment ?
Dominique A : Oui, même sur le dernier. Pour moi, trois-quatre morceaux vont rester sur un disque. Je vais continuer à les jouer mais on se lasse vite. Je me dis que l’un est mieux que l’autre. Ce qui important pour moi, c’est d’avoir un répertoire dans lequel je peux piocher pour les concerts. Avec douze albums, je peux quand même sortir deux-trois morceaux par disque et faire un concert qui tient la route. Même le groupe propose des morceaux auxquels je ne pense pas, on essaye et ça marche ou pas. C’est bien de sentir ces possibilités, c’est un plaisir.
Synergies : Changez-vous des fois la musique des morceaux ? Improvisez-vous ?
Dominique A : La marque d’improvisation est très faible dans ma musique. Parce qu’il y a une interaction avec l’ingénieur du son qui envoie des choses que vous n’entendez pas forcément, qui modifient le son au sein du morceau en ponctuant un élément musical avec un effet. Si ce n’est pas écrit et précis, ça ne va pas marcher. Pareil avec les lumières. Elles sont très élaborées, je travaille avec le même éclairagiste depuis une vingtaine d’années. On se charrie là-dessus parce qu’ils veulent que tout soit millimétré mais nous, on veut que ça déborde un peu, pour respirer et sortir de la routine. Je leur dis : « Ah ce fonctionnariat de la musique ! » Mais, c’est vrai que cette musique ne permet pas de sortie de route, ce n’est pas du jazz ou de la musique instrumentale, ce sont des chansons. Il est vrai qu’il y a des moments au cours de la tournée où les choses évoluent, même si le spectacle est le même. Vous allez prendre des libertés un soir et la reproduire parce qu’il s’est passé quelque chose. Si vous écoutez les morceaux au début puis à la fin d’une tournée, vous entendrez des choses très différentes dans l’intention, dans le jeu, au sein de certaines parties, même si l’ordre des chansons est le même. C’est que j’aime dans les tournées, avec une trame assez précises, il y a des espaces de libertés. Il y a aussi des morceaux qui arrivent entre temps. Hier, on a joué un morceau qu’on a répété sur un concert par hasard parce que les gars s’en souvenaient. On le jouera jusqu’à la fin de la tournée, ça fait un truc en plus, un peu de fraicheur. On se dit : « Ah ! Il y a trois minutes d’inédit ! » (rires)
Synergies : À quels publics vous adressez-vous ?
Dominique A : Idéalement, je m’adresse à tout le monde, mais dans les faits… Sur le plan générationnel, beaucoup de gens me suivent depuis le début. J’ai bientôt 50 ans et souvent ils étaient étudiants au moment où j’ai commencé. Ils ont 45 balais et viennent en couple aux concerts. Donc beaucoup de gens me suivent mais pas les 15-30 ans. Je ne sais même pas à quoi ressemble un 15-30 ans (rires). Par contre, les gamins des gens qui me suivaient commencent à m’écouter. Donc mes publics vont de 9 ans à 15 ans puis de 35 ans jusqu’à ce que mort s’ensuive. J’ai un fils qui a 20 ans, ce que je fais est loin de son monde. Mais ce qui n’est pas rigolo, c’est que j’ai l‘impression que les artistes faisaient plus le lien entre les générations avant. Le dernier à le faire, c’est Stromae qui plaît à la fois aux ados et aux grand-mères. Maintenant la musique est très segmentée et ça n’est pas bon signe pour la société.
Synergies : Vivez-vous de votre musique ?
Dominique A : Oui, j’en vis depuis 25 ans. J’étais pion au moment où j’ai sorti mon premier disque. Au bout de 6 mois, on m’a proposé un contrat avec une avance et j’ai arrêté de bosser… enfin j’ai fait ce métier là ! J’ai fait un lapsus (rires).
Synergies : Pour finir, quelles ont été vos références ? Entre le chant et le rock ?
Dominique A : Au départ, c’était les disques de papa, maman. Jean Ferrat, Léo Ferré, Jacques Brel. Puis ça a été la pop anglaise, la new-wave des années 80. J’ai écouté plein de musique mais je dirais que ce sont les premiers trucs. Chanter en français pour moi était évident parce que j’aimais les équivalents francophones des groupes anglais, des gens comme Bashung, Marquis de Sade, Taxi Girl. J’aimais qu’ils chantent en français sur des sons contemporains. C’était le lien avec les disques de mes parents.
Synergies : Bashung disait que même à la fin de sa vie, il continuerait de jouer « Gaby » sur scène car il n’avait pas épuisé le morceau. Avez-vous un morceau que vous n’épuiserez jamais ?
Dominique A : Oui, il y en a un… « Le courage des oiseaux ». Celui qui m’a fait connaître. Je ne l’épuiserai jamais. Je trouverai toujours quelque chose dans ce morceau. Je prends toujours du plaisir à le chanter alors que j’ai dû le jouer 3000 fois.
Synergies : Quelle est l’histoire de ce morceau ?
Dominique A : Il est lié à un moment d’observation. Je marchais, j’entendais les oiseaux chanter dans le vent glacé. Je me suis dit que c’était bizarre et je me suis demandé comment ils faisaient. C’est venu de là. Je l’ai joué la première fois alors que l’Irak venait d’envahir le Koweït. C’était la guerre du Golfe, le déclenchement des hostilités. Le concert était dans un entrepôt, des chauves-souris volaient, l’ambiance était électrique, dingue ! C’était le 17 janvier 1991.
Synergies : Vous jouez ce morceau dans chaque tournée ?
Dominique A : A chaque concert. Je n’ai pas dû le jouer qu’une seule fois. Et c’est comme si on m’avait retiré un bras.
Synergies : Est-ce que vous avez un dernier mot ?
Dominique A : Ah ! Non ! Je ne sais jamais quoi répondre à cette question. On me la pose souvent en interview et non, je n’ai pas de message, je suis désolé (rires).