"Même moi je me prépare à faire quelques moves". Entretien avec Leen
Résidente de l'incontournable club La Kulture à Strasbourg, habituée de la Kulturfabrik et de la grande maison qu'est De Gudde Wëllen – Luxembourg, Leen ne manque pas une occasion de jouer les faces B oubliées de la plus garage des houses, afro, broken beats, early techno et dub versions de joyaux internationaux. Le jeudi 10 novembre, c’est à L’Autre Canal qu’elle posera ses platines pour assurer la musique du LAB/SALON avec les danseur.es.s du CCN – Ballet de Lorraine. Entretien.
Est-ce que tu peux te présenter toi et ton projet en tant que DJ ?
Je suis Leen, ça fait presque 8 ans que je suis passée derrière les platines. De base je suis plutôt une geek de la musique, j'ai une approche très solitaire de cet art dans le sens où les premiers artistes que j'ai aimé, je les ai découverts dans ma maison de campagne, chez papa / maman, en fouillant dans leurs disques de rock prog, psyché ou musique concrète… puis des heures à fouiller de moi-même sur internet, du temps où ta connexion internet était limitée. Je suis rentrée dans une sur-analyse des sons, même plus tard aux concerts, puis quand j'assistais à des DJ sets. Je voyais les gars bidouiller leurs tables de mixage et je me suis dit "mais elle est là la planque !"
Tout ça fait une belle tambouille qui m'a rapidement amenée à des rythmes plus dansants. La découverte de la dite early techno, des sons plus house, afro beat… tranquillement ça a fait son chemin. Sur ce chemin j'y ai rencontré des DJ pour la plupart devenus de vrais amis, conseillers. Certains m'ont bousculée, m'ont fait grandir, m'ont décomplexée, m'ont appris l'assurance. Les b2b ont ça de bon. Ton partenaire t'emmènes là où tu n'aurais pas pensé aller de base dans ton set.
Aujourd'hui mon approche de la musique n'a pas réellement changé en fait. Je prépare mes sets en courant, en me repassant 15 fois le même morceau pour ne pas en perdre une miette.
Jeudi 10 novembre tu seras aux platines pour le Lab/Salon à L’Autre Canal. Comment a débuté cette collaboration avec le CCN Ballet de Lorraine ?
Après un échange avec l'équipe de l'Autre Canal, le Ballet de Lorraine et Runs où on m'a exposé le contexte, j'avais des bases de réflexion.
J'imaginais déjà une façon de proposer quelque chose de plus qu'un "simple DJ set", mais je partais vers l'inconnu, ne connaissant pas la façon de travailler de Petter Jacobsson et Thomas Caley du Ballet de Lorraine. Alors était-ce le bon moment pour se risquer à quelque chose d'expérimental dans mon set up ?
Puis il y a une rencontre dans leurs studios où on a pu affiner ce qu'on voulait raconter. Ils tentaient de mettre des mots sur les danses qui seraient présentées - comment verbaliser la danse franchement ? - et je tentais de trouver la musique ou au moins l'ambiance sonore qui pouvait accompagner cela, n'ayant jamais vu les danses en question.
Surtout, je débarque dans ce milieu, alors c'est autant effrayant qu'attirant.
Comment on prépare un tel événement avec des danseur.es.s qui improvisent en direct ?
En répétant tout de même. Je suis retournée au Ballet, avec mon matériel, pour voir les danseurs en action. On a un filage qui s'est précisé à ce moment-là. Eux, leur métronome, il est dans leurs mouvements, ils comptent dans leurs têtes indépendamment de la musique, moi il est dans le rythme de la musique, je n'ai que ça comme repère. J'ai pris une énorme claque, les danseurs ont sacré niveau ! Ils se regardent, ils se ressentent, ils pensent collectif. Je voyais Petter et Thomas leur parler dans un langage qui est le-leur et je me suis dit "ok apporte ton langage, il va se passer quelque chose". Puis on a essayé avec une musique, et une autre, et j'en profitais pour avoir le ressenti des danseurs sur le moment. Et il s'est passé quelque chose.
Est-ce que ça a changé ta façon de travailler et de voir ta musique ? Si oui, comment ?
Clairement oui ! Jusqu'à là mon travail en tant que DJ c'était de prendre les devants, passer des musiques qui avaient pour but de faire danser.
C'était dans ce sens-là que ça se passait. Là je me prête à un exercice complètement différent où c'est les mouvements des danseurs qui orientent mes choix musicaux.
Je m'attendais à un côté laboratoire, mais pas à ce point-là. J'ai profité des répétitions pour capter leurs pas, leurs portés, le langage de leurs corps en somme.
Ça me conforte à l'idée de proposer quelque chose qui va au-delà d'un DJ set, pour accompagner au mieux l'énergie qu'ils mettent. Tout ça, mis ensemble, va surprendre, j'ai hâte de voir la réaction du public !
À quel type d’ambiance on peut s’attendre pendant la représentation ?
Ça sera immersif. On a pensé à une installation où on casse les codes du "spectacle à regarder". Pour le Lab on propose un spectacle à vivre, où les spectateurs deviendront danseurs si ils se laissent aller dans le mouvement.
Dans un premier temps, on aura une base de morceaux ambient, IDM, broken beat, presque drum & bass par moment, que je diffuserai avec des platines.
Viendra s'ajouter à ça, un set up expérimental où je produirai de la musique en live avec des éléments connectés : des plantes, des fruits, de l'eau.
Le public sera avec nous, en fosse. Ils auront un bel angle de vue pour voir Runs oeuvrer sur scène tout au long de la représentation.
Il y aura un dialogue comme ça entre nous, et quand le moment sera venu, quand la musique évoluera vers quelque chose de plus rythmé, les danseurs envahiront le public pour que tout le monde soit également danseur. Même moi qui ait une souplesse niveau zéro, je me prépare à faire quelque moves, alors j'espère bien que le public se prêtera à l'expérience !
Propos recueillis le 3 novembre 2022
Pour nous donner un avant-goût de jeudi, Leen nous a préparé un mix de 40 mn pour nous plonger dans l'ambiance du Lab/Salon !
C'est à écouter sur son Soundcloud