"Il y a un esprit un peu chamanique dans ce qu’on veut faire." Entretien avec Oiseaux-Tempête
Cinq ans après être venus travailler leur nouveau set avec des musiciens de la scène du Beirut Underground, les musiciens de OISEAUX-TEMPÊTE sont de retour à L’Autre Canal pour préparer le live qui accompagnera la sortie de leur nouveau disque, WHAT ON EARTH (Que Diable) disponible dès aujourd’hui sur Sub Rosa & NAHAL Recordings. Accompagnés de Ben Shemie qui les rejoint sur la tournée pour ce nouveau projet, ils ont répondu à nos questions.
En 2017 on vous accueillait en résidence avec des invités du Beirut Underground. Cette semaine vous revenez avec une autre formation comptant notamment Ben Shemie (Suuns). Quelles sont les envies pour cette nouvelle création ? Comment cette nouvelle entité s’est créée ?
Fréderic D. Oberland : Oiseaux-Tempête c’est une sorte de collectif avec des membres qui s’agrègent. À l’époque de Al-‘An ! c’était avec des artistes libanais car on avait fait un disque au Liban avec des musiciens, donc on en avait invité certains d’entre eux. Et sur celui-ci c’est pareil, c’est aussi lié à un disque, qui s’appelle What On Earth (Que Diable) et dans lequel il y avait une partie des gens qui étaient déjà là en 2017 : Paul (Mondkopf), Stéphane et moi, Jos (Kleij – The Ex) et Jean-Michel (Pirès – Bruit Noir ) qui est un batteur avec qui on jouait déjà en alternance à l’époque. Parmi les autres invités du disque, qu’on a réussi à amener en tournée cette fois-ci, il y a Ben Shemie le chanteur et guitariste du groupe canadien SUUNS. C’est un reflet du disque qu’on a fait et l’on essaye de retranscrire ça en live.
Stéphane Pigneul : On avait rencontré Ben quand on était au Canada, à Montréal. Il y avait le studio d’un autre copain qu’on avait rencontré à Beirut la fois d’avant, au studio l’Hotel2Tango, qui s’appelle Radwan (Ghazi Moumneh – Jerusalem In My Heart). Et à ce moment-là, il bossait aussi avec Ben et c’est comme ça qu’on l’a rencontré. Il venait un peu au studio et on a fait connaissance, on a fait un concert avec eux. On était passé à Toronto et à Montréal pour deux petits concerts, on s’est lié d’amitié et on s’est dit pourquoi pas pour ce disque, inviter Ben ? Et aussi Jessica (Moss – A Silver Mt. Zion) qu’on avait rencontré en même temps lors du disque précédent.
Que venez-vous travailler en résidence pendant cette semaine ? Comment s’organise le travail sur ces quelques jours ? Par étapes ? Par groupes ?
F : On a une particularité dans ce groupe qui est de ne pas composer des morceaux qu’on va aller enregistrer en studio. On va en studio, on improvise et on compose des morceaux pendant un enregistrement. Donc on a besoin de réapprendre ensuite à rejouer ces morceaux pour la scène. C’est l’enjeu des résidences à chaque fois pour nous, être capable d’arriver à jouer live du matériel qu’on a enregistré, voir même de s’en servir comme d’un point de départ pour quelque chose d’autre. Un morceau peut muter, on ne cherche pas forcément à reproduire exactement ce qu’on a enregistré, mais plutôt s’en inspirer pour retoucher un peu l’instant, la magie du moment. Là basiquement on est là pour arriver à construire un set à partir de morceaux du nouvel album et d’autres morceaux des disques précédents mais qu’on réinterprète un peu différemment selon le matériel qu’on a amené.
S : Il n’y a pas de plan particulier au niveau de la résidence, on fait un peu comme on sent les choses. La première idée qu’on a en tête c’est d’essayer de ne pas perdre de vue qu’à la fin, on doit avoir un set qui tient la route. On s’occupe en priorité - ça dépend des moments - soit des morceaux qu’on connaît et qu’on va maîtriser pour pouvoir dégager un peu de temps pour ceux qui par hasard posent problème. Comme Fred disait, quand on réécoute les morceaux - et même si on a une vague idée quand même - des fois on se retrouve confrontés à des problèmes différents entre le live et le studio, où on peut mixer par exemple. Toutes les choses apparaissent et ça peut, ou non, prendre du temps. Et ça on ne peut pas le savoir à l’avance mais on essaye de garder le set final pour dégager du temps. Après avoir vu chaque étape, on va dans les détails pour apprendre à enchaîner les titres par exemple.
Ça veut dire que les morceaux peuvent évoluer entre aujourd’hui et vos premiers et derniers concerts ? Est-ce que c’est même un but ou est-ce que vous vous laissez plutôt porter ?
S : Oui mais ce n’est pas le but recherché. À l’intérieur de ces plages il y a des moments écrits, des bases sur lesquelles on peut s’appuyer. Ça peut amener à des moments magiques. On a toujours bien aimé parler de ces moments où on se sent un peu en confiance pour une raison x ou y pendant un live : l’énergie que te renvoie le public, la salle, les conditions, la fatigue… Il y a tout un tas de paramètres qui font qu’un show est plus ou moins bon qu’un autre. De temps en temps, il y a ces moments magiques où à un certain moment du morceau, PAM ! Ça va partir ailleurs, on embraye et là pour le coup, on se laisse complètement aller. Donc oui, ils peuvent être amenés à évoluer, on essaye en mieux (rires). On essaye de se rappeler des bonnes parties aussi et de les enregistrer, quand on y pense. Ça sert aussi à ça. On ne veut pas non plus être super fidèles et c’est l’avantage de faire comme on fait en studio. On ne répète pas les morceaux cinquante-cinq fois. On a aussi ce grand plaisir à se retrouver et à jouer à chaque fois. On redécouvre, on est même émerveillés par nos propres trucs et c’est très jouissif. Le but c’est de ne pas s’ennuyer.
Mondkopf : …et de rendre vivant les morceaux. En concert des fois on se sent pousser des ailes et on se permet de nouvelles idées. Et au moins grâce aux résidences, on peut se permettre de ne pas se casser la gueule devant mille personnes. On teste des nouvelles choses et quand ça marche c’est super. Ça nous donne des nouvelles idées pour un prochain disque…
À quel type d’ambiance on peut s’attendre ? À la fois sur scène, les lumières, l’atmosphère…
M : Je dirais contrasté, littéralement au niveau des lumières. Hélas il n’y a pas Grégoire Orio qui fait notre plan lumière, tout l’habillage sur scène, mais lui il travaille beaucoup sur les contrastes. Des fois on ne peut voir que nos silhouettes, il joue beaucoup sur les effets stroboscopiques. Ça peut être assez intense puis minimaliste mais c’est efficace. Ça suit bien l’ambiance des morceaux, ça retombe quand c’est calme. Pour les morceaux, il y peut y avoir des moments très silencieux et calmes comme du déluge sonore. Il faut que la lumière aille avec ça aussi. Que ce ne soit pas tout le temps éclairé, de la même couleur.
S : Il n’y aura pas de vert (rires). Il y aura du rouge, du noir, du blanc, des strobs effectivement. Mais pas de vert.
M : Ni de violet, des fois ça jure aussi un peu.
S : Sinon sur ce dernier disque on est parti plutôt avec des séquences électroniques par rapport à nos premiers. On a toujours eu une petite part d’électronique à l’intérieur mais cette fois-ci c’est de plus en plus assumé. Une partie de la résidence a servie aussi à mettre un peu ça au clair, à mieux le maîtriser, comme le disque contient beaucoup d’électronique maintenant. Ça fige un peu plus les choses par rapport à notre expérience. On essaye, pendant la résidence, de se libérer à nouveau de ces carcans. Dans la musique électronique il y a des choses qui peuvent être un peu plus figées avec les tempos par exemple d’où on ne peut pas trop sortir, donc on essaye de les rôder pour pouvoir ajouter des choses par-dessus, s’en permettre d’autres, redescendre des tempos…
F : Un truc d’hybridation. Je pense que c’est ça le truc de cette résidence, ce qu’on essaye de faire. Une hybridation entre l’électronique analogique et l’électricité des utilisations des voix. C’est la première fois qu’on se retrouve avec deux personnes assumées et différentes au chant. La modulation passe aussi par là. Le chant n’est pas juste un narratif, il peut aussi être considéré comme un instrument. Il y a un esprit un peu chamanique dans ce qu’on veut faire.
Propos recueillis à L’Autre Canal, le 27 octobre 2022
Leur nouvel album, WHAT ON EARTH (Que Diable), est disponible dès aujourd'hui sur Sub Rosa & NAHAL Recordings.
Sur scène, retrouvez Frédéric D. Oberland, Stéphane Pigneul, Mondkopf, Jean-Michel Pirès (Bruit Noir), les voix de Ben Shemie (SUUNS) et G.W.Sok.
Photos : L'Autre Canal