Sortie de Citron Gingembre, entretien avec Lobo EL & Cotchei
Si vous êtes du coin, vous avez forcément entendu parler de ces deux gars-là. Véritables hérauts du micro, Lobo EL & Cotchei arpentent et partagent depuis des années chaque scène comme on coupe du citron : d’une manière tranchante. Ça tombe bien, depuis septembre les deux compères se sont alliés et ont aiguisé leur style pour nous servir leur première tape 5 titres : Citron Gingembre. Après le succès de leur release party, discussion avec le duo autour de sa confection.
Vous avez sorti chacun des projets solos en 2020 et 2021 – « Vertigo », « Vivons Cachés » pour toi Lobo EL, « Tignasse » et « Long Dimanche » pour toi Cotchei, sans oublier les morceaux « Super-Héros » ou « Glaçons » – mais là « Citron Gingembre » est bien un projet à deux. Etait-ce préparé ou spontané ? Qu’est-ce qui a fait que vous le sortez à deux maintenant ?
Cotchei : C’est une bonne question. Pour ma part, je crois que Citron Gingembre signe un peu notre liaison forte. Et notre professionnalisation aussi. Ça veut dire qu’au bout d’un moment on s’est dit qu’on voulait travailler vraiment ensemble. On a toujours été une sorte de binôme, au sein de notre collectif Les Gars du Coin. Mais c’était un binôme comme quand tu fais du footing avec un pote. Et là on s’est dit, on ne va pas faire un footing, on va faire un marathon. Citron Gingembre signe donc ça.
Lobo EL : Sur la temporalité, Citron Gingembre dure peut-être depuis 1 an. On a trouvé le titre en décembre 2020. Juste avant de faire la session live à L’Autre Canal où on voulait déjà mettre du citron et du gingembre sans non plus trop spoiler. Et c’était important pour moi qu’il sorte à la rentrée, car c’est notre gros projet de début de marathon. On est en septembre, il y a plein de choses à faire jusque juin. Alors qu’on aurait presque pu le sortir en juin mais on avait peur que l’été…
Cotchei : …On n’était pas assez préparés.
Lobo EL : On n’était pas assez préparés, et l’été aurait pu éteindre les petites braises. Et les projets avant, ils nous tenaient à cœur individuellement. Ils étaient là, on avait envie de les envoyer. « Vivons Cachés » c’est un délire de confinement, un truc solo un peu cérébral puis « Vertigo » ça me trottait dans la tête depuis longtemps et je trouvais ça important de s’appuyer sur ces petits projets pour envoyer la force ensuite à deux. Plutôt que de s’appuyer sur « Citron Gingembre » pour ensuite sortir des EPs solos. Peut-être que c’est ce qui arrivera. Mais c’est plus réfléchi en mode : un solo de Cotchei, un solo de Lobo, des featurings, et là la tape qui vient couronner tout ça, comme un climax de l’année.
Cotchei : Et juste, je suis très content que tu cites « Long Dimanche », car c’était une manière de s’exprimer pour ne pas perdre la tête pendant le confinement. Je l’ai fait à distance avec un Gars du Coin : Graams. Ça fait plaisir que tu en parles. Moi j’étais devant un micro pas top, lui il était en Normandie, le beatmaker était à Lyon... C’était cool. Je suis fier aussi de l’avoir fait avec Graams.
Comment avez-vous écrit cet EP ? Comme l’impro est importante pour vous, est-ce que vous avez plus pris le temps ou alors l’écriture s’est faite au fur et à mesure de freestyles, d’impros…
C : Je pense qu’on l’a écrit un peu au début de notre professionnalisation. Quand je dis ça, c’est parce qu’on a fait une auto-entreprise. On était beaucoup tous les deux. Pour faire des mails pour prospecter des ateliers par exemple. Je crois qu’on l’a fait même avant septembre. Le premier titre c’était vraiment avant qu’on commence les ateliers. C’était un moment où on traînait beaucoup au studio, là où habite Lobo. Il habite dans une maison à Brabois, où on a notre ingénieur du son et Tonton, et il y avait Arthur Grosjean qui fait de la contrebasse et de la guitare. On était dans une bulle. On savait qu’on voulait faire de l’argent ensemble, et qu’on voulait continuer à faire ces footings mais d’une manière plus peaufinée.
L : On n’a pas trop anticipé et pensé les thèmes, c’était un peu freestyle. On n’a pas de beatmakers attitrés. Là pour le coup c’est Négroide sur les 5 titres. C’est presque un hasard que ce soit lui, car ça aurait pu être Tom Deltruc ou Elias Denon. Ça aurait pu être beaucoup de gens différents. Sinon on a écrit pas mal ensemble. « Violences Silencieuses » je me souviens très bien, on était tous les deux au même moment. On ne s’est pas dit qu’on allait faire un son énervé pour la tape ou quoi que ce soit. C’est juste qu’on a écrit, on a été bien productifs. « Stop » ça marchait bien, on était dans les Vosges. Il l’a écrit, après je me souviens moi je l’ai écrit. Et moi j’essayais d’avoir son aval pour compléter le morceau. Un autre son, « Mes Repères », on l’a écrit vraiment l’un à côté de l’autre, au studio. Je lui ai proposé un couplet, j’ai écrit le deuxième, pendant qu’il faisait le refrain... Donc pas mal de moments ensemble, des sortes de faux freestyles, en tout cas on n’a pas anticipé les thèmes et peut-être que c’est quelque chose qu’on aimerait faire à l’avenir.
C : *acquiesce*
L : Ben voilà il me le confirme. À l’avenir on pourrait se dire, ok, il nous faut deux morceaux dansants, deux morceaux un peu politiques où on dit des choses qui nous tiennent à cœur, des morceaux légers… Mais là c’était vraiment ce qui sortait. Et j’aime bien l’équilibre entre choses sérieuses et choses détentes.
C : Je pense que c’est la porte ouverte à avoir un projet à deux très cohérent. S’il y a un truc où je suis très carré et rigoureux, c’est que mes projets ont beaucoup de liants. Mon premier projet solo, où j’avais vingt ans, avec Black Milk Music, c’était « La Tête dans les Nuages ». « Tignasse » ça parle du rapport hommes-femmes. Je trouvais que dans le rap, il y avait beaucoup de projets que j’aimais beaucoup, mais que des fois ça manquait de cohérence. Par exemple, des fois, il n’y avait que la voix qui était cohérente et il n’y avait pas d’histoire ou de fil conducteur. Et d’autant plus qu’on comprend, quand on va dans les SMAC ou face à des professionnels, que l’écrit et la cohérence, c’est important. Donc avec « Citron Gingembre » on ne l’a pas tant fait, mais pour le prochain projet, je pense qu’on a les armes. Et puis c’est facile pour nous, si on y réfléchit en amont, d’être de plus en plus cohérents et d’avoir un fil derrière nous.
Pour les prods, vous avez dit que c’était le même producteur, Négroide, sur tout le projet. Parlez-nous du processus de création avec lui ?
L : C’est un gars, pour resituer, qui est un pote de longue date de Woodsdad, puis de Cotchei. Donc des Gars du Coin, et de moi aussi à force de se connaître. Il est très productif, un peu à notre image. C’est pour ça que c’était naturel qu’on s’allie à lui. On écrit beaucoup avec Cotchei. Et lui envoie beaucoup d’instrus très souvent et des fois on va au bout des choses et ça lui fait plaisir. J’ai encore des prods sur le téléphone, elles auraient très bien pu être dans « Citron Gingembre » mais ce sont ces 5 là qui ont fini dessus. Et on le trouve très talentueux. Il bosse à l’ordi, il est musicien à la guitare, au synthé, il sait vraiment faire beaucoup de choses. Il fait un peu ingé son aussi. Donc nous, on a senti que c’était un bon filon quand même. On a bien vu qu’avec lui on pouvait faire des choses sérieuses, dans ce moment où on voulait être sérieux. Et qu’il était à la fois, à notre niveau, atteignable, au-delà du niveau copain. Si on fait des instrus et qu’un gars est trop nul, ça n’ira pas. Si on fait des instrus avec un génie, ça n’ira pas non plus. Il nous faut notre équilibre. Et lui, il est un peu au même équilibre dans la musique que nous. C’est-à-dire semi-pro, super relax, beaucoup d’humour. Beaucoup de détachement aussi. S’il n’aime pas quelque chose, il va nous le dire. Voilà pour résumer le processus. On avait plein d’instrus puis on a choisi les meilleures. Mais ce n’était pas dans le but de faire un projet direct avec lui. Vu que lui il nous envoie plein d’instrus très souvent, et aux Gars du Coin. Il en envoie 15 à Gavabon, Gavabon il va nous en faire tourner, il en envoie 5, je vais les faire tourner…
C : La chance qu’on a, c’est que c’est un mec qui sait tout faire. Il sait enregistrer des gens, mixer, masteriser, et faire des musiques. Il est technicien du son aussi. Ça veut dire que, bon là on ne peut pas le faire car il habite dans le Sud maintenant, mais pour nous c’est une chance d’avoir un mec qui peut être là de A à Z. Là on n’est jamais allé sur scène avec lui mais peut-être un jour on sera en concert tous les trois. Là il est sur la tournée de Thérapie Taxi, il a fait Izia, Orelsan aussi. C’est un gars aussi qui fait une veille, une observation active du monde de l’industrie musicale. Et c’est super pour nous, c’est une chance. Et aussi c’est vrai, moi je suis maraîcher de formation, lui il est fils d’agriculteur. Donc on a un lien au niveau de ça aussi qui permet de se détacher de la musique et de parler d’autre chose. Et qui permet de nous rassembler encore plus dans la musique.
L : Et aussi dans le processus il y a eu un moment - il est fort aussi là-dedans - : il y a un morceau c’est « Mes Repères ». On lui a envoyé le morceau tel quel, a capella, avec une instru du net. Et lui il a refait toute l’instru. Là il nous envoyait des messages – on lui a envoyé un a capella tout à l’heure – et il nous fait l’instru à partir de ça. Pour ça il est très fort. Et il nous pose des questions : « est-ce que vous voulez garder le côté-là, le côté-là… ». On l’oriente un peu, on lui dit « fais toi confiance ». On a vraiment confiance en ce qu’il fait.
C : Grosse perle rare. Des gens avec autant de polyvalence c’est rare.
L : Même humainement, c’est important aussi. C’est un bon humain, un bon copain, sinon on n’arriverait pas trop à travailler avec lui. Et il habite dans l’Hérault, donc tout s’est fait à distance, même si on l’a vu en avril pour travailler des trucs avec lui.
C : Mon but aussi, c’est que, ma famille habite dans le Sud, mes parents sont venus habiter là et m’ont fait ici à Nancy. Mais toute notre famille habite à Narbonne. Et j’ai dit à Lobo, j’aimerais bien qu’on ait une saison par an où descendre dans le Sud pour trouver des ateliers, faire des performances dans les musées comme on a déjà pu le faire. Chaque année on vient, avec toute la matière qu’on a fait à distance avec lui, et là on peut parler, avoir un feedback de vive voix.
En plus de l’impro, la scène est importante pour vous. Est-ce que vous aviez le live en tête lors de l'écriture des morceaux ? Lors de votre LAC SESSION, on avait vu qu’il y avait déjà des chorégraphies...
C : Je pense que pour ma part, je ne voyais pas la scène parce que justement on vient de là à la base. Ça fait presque 7 ou 8 ans qu’on fait que de la scène et presque pas de studio. On a même pu s'y former une petite communauté nancéienne qui nous suit, ce qui fait que l’on reste des artistes pas connus mais reconnus dans notre ville, et que l’on peut en vivre. On avait besoin de réfléchir au studio, ce qu’on ne s'était jamais assez posé comme question. Même si avant on n’avait pas de lighteux ou de sondier. Depuis 3 mois qu’on a Jules et Mix sur ces fonctions, on se rend compte seulement maintenant de ce qu’est une vraie scène exhaustivement parlant. Encore maintenant, on a besoin de réfléchir au numérique et au studio. Je suis un peu dans ma bulle et je réfléchis beaucoup au studio pour que le son soit le plus clair et concis, mais en même temps le plus original et compréhensible de tous. Ça serait bien que je pense en même temps à la scène. J’y pense sur certains sons qu’on a fait pour la scène, mais qui ne sont pas dans le projet. Avec Lobo on a vraiment besoin de mettre toute notre énergie pour que le son soit le mieux au studio.
L : Alors moi, je n’aurais pas dit ça du tout. C’est ce qu’on fait depuis longtemps mais combien de fois je me retrouve sur scène avec un texte que j’aime bien, et je vois qu’il ne marche pas. Maintenant, dès que j’écris quelque chose, j’essaie de m’imaginer « est-ce que c’est assez grave ? », « trop aigu ? », « est-ce que ça va marcher ? ». « Pourquoi pas des placements à ce moment-là, on pourrait faire ci, on pourrait faire ça ». Il y a une large part d’improvisation quand c’est écrit, on s’adapte avec la matière. Mais c’est vrai que j’essaie de plus en plus de penser à la scène, ce qui peut être visuel, et aussi, que ce soit dans la manière de le dire, dans le choix des mots. Ça c’est pour le streaming et la scène, mais comment ma phrase peut avoir le plus d’impact ? Si je la tourne comme ça, elle aura plus d’impact. En fait, moi je trouve que je suis beaucoup un rappeur que les gens doivent écouter plusieurs fois avant de me comprendre. Ce n’est pas spécialement un atout, même si certains diront le contraire. J’ai moins envie qu’avant que ce soit un de mes atouts, j’ai envie que les gens prennent les textes au premier degré, et j’ai envie de faire en sorte que ma phrase rentre dans ton oreille et te dise tout de suite quelque chose. Donc ça ne va pas être que dans un jeu de scène, visuel, mais aussi au niveau de l’oreille mais aussi de savoir comment bien rapper le couplet, bien savoir poser ma voix, de réfléchir plus à ça.
Quand a été pensé le clip de STOP ? Il a eu une place dans la création et le processus de l’EP ?
C : Quand on a écrit le texte, on ne savait pas que ça allait être « Citron Gingembre ». Et il fallait qu’on trouve du liant et le visuel, l’imagerie allait nous aider à le faire entre les 5 titres. Notamment « Stop », et le nom de la tape, « Citron Gingembre ». On a essayé de créer un storyboard qui rallie notre musique et le nom de la tape. C’est là qu’on est vraiment parti sur une histoire de trafiquants, avec des citrons et des gingembres parce que ça devient rare. Comme on ne savait pas sur quoi partir en premier, et que tout est venu un peu comme ça spontanément, sans avoir de cohérence, de ligne éditoriale artistique… Il fallait le trouver après, tout simplement.
C’est le projet où l'on retrouve le plus d’autotune. Une envie dès le départ ou après coup ? Lors de votre LAC session, il n’y en avait pas sur vos deux morceaux qui sont sur la tape...
C : Je crois que c’est venu un peu naturellement. On va dans plein de studios, on enregistre avec plein de copains. On écoute plein de rappeurs qui en font, on fait du mimétisme. On aime plein de morceaux avec de l’autotune. Et on avait beau aimer, on ne l’avait pas marqué dans nos morceaux. Et là on voulait l’assumer je pense. Encore une fois, c’est l’envie d’avoir un son qui pète numériquement. Cette recherche dans le studio, cette prospection du bon son, et en même temps du mimétisme dans toute la scène actuelle où presque tous font ça. Donc peut-être bêtement ou intelligemment ou les deux en même temps.
L : Pour moi c’est la musique le plus important. Et si ça importe musicalement, si j’ai l’impression que musicalement le morceau sera meilleur, je ne me le refuserai pas. Alors qu’il y a quelques années je me le serais refusé, pour des principes un peu bancals. Alors que là c’est fun, c’est rigolo d’avoir de l’autotune. On prend vachement de plaisir avec ça. Il faut qu’on soit honnête envers nous-même, on a envie que notre son soit écouté, c’est un outil super moderne, super écouté, repris partout, super universel. Ça peut nous permettre de toucher plus de personnes donc on a tout intérêt à essayer, à ne pas mourir idiot. À voir ce que ça peut donner. Et si ça permet à un morceau d’être meilleur selon nous, c’est l’oreille qui doit en juger et non mon cerveau plus rationnel. Je sais que j’arriverai toujours à rapper, freestyler sans autotune, mais on est en 2021, il faut vivre avec son temps. Et pour la LAC session, il y avait aussi le côté on est encore débutant, et peut être en janvier, février dernier, on n’avait pas la même maîtrise de ça sur la scène, qu’on pourrait avoir maintenant. On a encore une grosse marge de progression. Mais on arrive de plus en plus à se servir de cet outil à force de le travailler.
C : La LAC session était super pour nous parce que on n’avait pas de concerts, donc on ne savait même pas comment on allait se situer sur scène. Lobo a dit qu’il y pensait un peu mais en soit, je ne me vois pas avoir des moves dans ma tête quand j’écrivais.
L : Ouais ouais mais je suis mal exprimé.
C : On a quand même ce côté puristes, un peu. Comme il disait, c’est peut-être un principe bancal, ce côté « c’était mieux avant », qu’on a aussi hein ; j’ai toujours Befa et Scred Connexion dans ma voiture, qui sont de gros albums que j’aime vraiment beaucoup. Et en même temps j’aime beaucoup cette voix super digitalisée de Laylow. Par exemple « Spécial » c’est incroyable. On est peut-être les derniers rappeurs de notre génération qui viennent de la scène vivante. Même s’il y en a plein en France, on reste une minorité. Maintenant, il y a une majorité de rappeurs qui expriment leur art via le home studio, dont on s’inspire beaucoup. Laylow, il fouillait dans des modules, VST, des effets pour avoir son son à lui. Ça j’adore, et c’est ce que je n’ai pas. J’ai beaucoup d’estime pour ces gens-là, ils arrivent un peu à bidouiller et à créer leur propre son, en digitalisant et y passant beaucoup d’heures. C’est quelque chose que plus tard j’aimerais faire.
Vous avez chacun des morceaux « solos » sur le projet, est-ce que c’était une intention de départ ou c’est venu après, comme ça ?
L : Ce n’était pas une intention d’avoir chacun son solo. Après, en y repensant, je pense que c’est une bonne chose. Parce qu’on est Lobo EL, Cotchei, on le sera le plus longtemps possible. Mais ça montre aussi que si Cotchei veut faire des trucs de son côté, moi je serai à fond derrière lui, s’il a besoin d’un feat, avec plaisir. Et inversement, si je veux faire mes trucs. C’est plus, il avait un très bon son, j’en avais aussi un bien, et ça a collé, rien de plus. C’est plus du hasard qu’autre chose.
C : On avance ensemble mais ça ne nous empêche pas d’avoir chacun notre petit monde. Et que chacun promeut ou soit fier de l’autre dans ce qu’il fait. Donc pourquoi pas le rajouter et en faire une force. Et dans « Citron Gingembre » on porte l’autre dans son envie artistique ou dans son intention qu’il a eu dans ce morceau. « Ben ouais gros t’es fort, vas-y ».
L : Et j’aime bien le côté symétrique aussi. Il y a cinq sons, il y en a un où l’autre est absent, pour moi ça marche. Faut que ça reste cohérent. S’il n’y avait deux solos de Cotchei sur cinq titres, ou deux solos de moi, ça commence à faire un petit déséquilibre. Mais peut-être que ça arrivera, et si on trouve ça cohérent, faut qu’on mette nos égos de côté. Ce n’est pas parce que je rappe moins, que le projet sera moins bon, au contraire. Faut vraiment penser à l’équilibre du truc, plutôt qu’à imposer sa présence. Je l’ai déjà dit à Cotchei, et je le répète : s’il y a un de mes couplets qu’il n’aime pas, on le vire, ou on le réécrit, il m’aide à le réécrire, à l’interpréter. On sort du Hat Shop, on pose des CDs, on croise des gens, on voit notre merchandising, grâce aussi à toutes nos discussions qui font que Cotchei peut assumer pleinement « Citron Gingembre », tout comme moi je peux aussi l’assumer pleinement. Et si on ne le fait pas, ça n’ira pas. La cohésion doit être totale.
C : De toutes façons, nous, on peut être très contents, car encore une fois, je trouve qu’on a bien appuyé sur les bases. C’est-à-dire qu’on est des petits rappeurs, pas du tout connus dans la France entière. Avec cet EP, on a vraiment consolidé les fondations. On est super fiers, on en parle presque tous les jours, mais on a fait une super release party. Il y a 3500 personnes, et 1500 qui sont venues devant la scène. Pour nous, des professionnels des premières parties des gros rappeurs depuis 7 ans ce n’est pas rien. Et rien que le déjà que nos familles, nos ami.e.s, les ami.e.s de nos ami.e.s sont déjà 100, 200, 500 à venir et que les gens se disent « oh il y a du monde ici », c’était super. On était à côté du Livre sur la Place, de la place Stanislas. On a pu vendre tous nos goodies, les gens avaient des étoiles dans les yeux, et ben « Citron Gingembre » a été un EP super bien réussi et avec en plus le 8 octobre qui arrive…
L : Je ne sais pas si ça sera mentionné, mais on a vendu 1800 balles de goodies. Pour moi, on tient le record du monde de Nancy. Qui à Nancy a déjà vendu pour 1800 euros de goodies en une journée ?
C : Ouais c’est incroyable, et encore plus des artistes inconnus comme nous. On en est très fiers. Ce qui faut savoir c’est qu’on a notre auto-entreprise. Mais cet événement et « Citron Gingembre » , on l’a fait bénévolement avec tous nos ami.e.s. C’est ça aussi notre force. Alors il y a les ateliers d’écriture, nos performances dans les musées comme aux Beaux-Arts à Nancy, nos créations artistiques qu’on vend à des institutions… mais à côté on a toujours cette idée du gratuit. Ma mère elle me disait toujours « pourquoi tu fais toujours gratuit ? ». Alors qu’en fait la gratuité ça paye, il faut le savoir. Les gens te le rendent à un moment. Ça montre que t’es quelqu’un de droit, et qu’on ne met pas des balayettes dans le dos des gens. Et là on nous l’a bien rendu et je remercie tout le monde. La gratuité ça paye.
Sur l’EP, il y a Woodsdad, Négroide, soit la famille avec les Gars du Coin. Est-ce que vous vous voyez aller voir ailleurs pour les prochains projets ? Travailler avec d’autres gens ?
C : Oui et non, car on peut encore en vivre très longtemps en restant comme ça. Mais par contre si on veut que nos deux potes qui sont en train de mettre le son là puissent en vivre, si on veut qu’ils soient avec nous, il faut qu’on aille plus loin, ça c’est sûr. Mais égoïstement, je pourrais rester dans cette localité, rester comme ça. Par contre comme on a une belle équipe, je pense que notre son a une place nationalement si on pousse. Mais pour ça, il nous faut de l’aide. Faut un manager, un tourneur, on recherche mais ce n’est pas facile. C’est justement notre problème en indé. On est autant sur scène, dans nos boites mails, dans les factures, les devis, tout quoi ; et quand même avec l’aide de beaucoup de gens. On doit avoir un œil partout et motiver tout le monde. C’est un avantage et un inconvénient. On se voit aller plus loin, mais difficilement pour ma part. Pour parler de manière égoïste, là maintenant que les fondations sont bien cimentées, on peut rester j’en suis sûr 10 ans comme ça. Parce que les ateliers d’écriture il n’y a pas beaucoup de rappeurs, tout le monde pense numérique et streams, alors que nous on n’a pas fait exprès, mais comme on a fait beaucoup de scène et qu’on a fait que ça même, pendant que tout le monde performait en studio. Maintenant qu’on a de l’argent, et qu’on peut en vivre, on pourrait rester comme ça par paresse. Si on a envie que Jules mixe, MadJohn, Arthur, les gens et l’équipe s’agrandisse, payer un manageur, il faut aller plus loin. Ça va être les rencontres, le hasard. À voir à terme. Les deux chemins sont possibles.
L : Et à la fois pour moi, on va déjà plus loin. Sans que ce ne soit une plus large bulle. On va aller rapper à Montpellier, à Sète le mois prochain. Ce sont de toutes petites dates mais ça se prend. Aussi à Lons-Le-Saunier, on rappe souvent en Belgique, on va au Ghana trois semaines en décembre… On va rapper dans le musée des Beaux-Arts de Carcassonne, on se fait payer par le parc de Villette pour aller à Narbonne… Ce ne sont que des choses, on est des inconnus mais on a une carrière et un CV qui sont immenses n’empêche, et ça va continuer. On aimerait bien trouver des dates dans des SMAC mais si on continue à prospecter de notre côté, on va continuer à avoir des dates partout. On était à Strasbourg il n’y a pas longtemps pour le Pelpass Festival… On a plein d’entrées, qui sont des souterrains mais on en a quand même plein.
C : Parfois, je nous trouve plus liés au monde du théâtre que du rap. Les rappeurs, dans Les Gars du Coin ou même Jaja chez Cartel, il est tout le temps au studio, il pense stream, numérique... Ils ne voient l’argent qu’à travers les streams. De notre côté, on commence à peine à comprendre ça et en même temps ça ne nous intéresse pas. On y va un peu en moonwalk, à reculons. Alors que tout ce côté aller vers les salles de concert, ça nous plaît plus déjà, et on est plus à l’aise. Par contre, c’est sûr que ça donne moins de visibilité. Maintenant, tout passe par le numérique. C’est une réalité des fois plus importante que les concerts, pour se faire voir par le grand public je veux dire. Et maintenant, les vues, c’est la pierre angulaire alors que dans le théâtre il y en a plein qui tournent mais qui ne sont pas connus mais reconnus. C'est pour ces raisons que je pense qu’on se rapproche plus des compagnies dans notre manière de voir, plutôt que du rap et de son fonctionnement.
Petite question comme ça, qu’est-ce que vous écoutez en ce moment ?
C : Alors moi c’est le rappeur Khali. Il est super inspiré d’Hamza et de Laylow. Là encore, c’est des gars qui passent leur vie en studio à digitaliser leur voix, trouver vraiment le truc que personne ne fait. Ce que j’aime bien c’est qu’il a beau s’inspirer de Laylow et Hamza, il dit par exemple « moi je n’ai pas de chaînes en or j’ai que des veines sur mon cou », je trouve ça beau. On parlait de 50 Cent, les mecs comme ça ils ont de l’or qui brille sur eux et tout. Lui, prend un peu le contrepied de ça, et ça me fait trop kiffer.
L : Pour moi, c’est toujours une question piège mais j’écoute beaucoup Limsa d’Aulnay et M Le Maudit en ce moment. Ce sont deux gars de Paris de la 75ème Session, je les trouve vraiment très forts. Sinon, c’est plus mon avis de rappeur, ils sont aussi très équilibrés dans l’autotune, le freestyle. Tu peux les mettre juste là et leur faire faire un freestyle, ça va être magnifique. Ensuite, en studio, l’autotune leur apporte vraiment un truc trop bien, et j’aime beaucoup cet équilibre. Sinon j’écoute beaucoup de jazz et de soul, et des trucs qui n’ont rien à voir avec le rap, ça fait vraiment du bien. J’écoute beaucoup Snoh Aalegra aussi. Une espèce d’Erikah Badu pour te donner le côté new-soul, un peu rap dans les prods. C’est l’une des rares artistes dont je connais la discographie par cœur. Elle est trop forte. Sa voix me berce et m’inspire à fond. Je peux écrire des textes de rap juste en l’écoutant, ou des petites poésies.
C : João Gilberto aussi, la bossa nova j’adore. J’ai toujours envie de faire une tape rap-bossa nova. Je suis à fond là-dessus en ce moment.
Un dernier mot pour la fin ?
C : La gratuité ça paye (rires)
L : Merci, en vrai, j’aimerais bien trouver une punchline, mais merci à ceux qui liront l’interview, qui nous donnent du crédit, et à ceux qui nous aident, que ce soit par quelques minutes de leur temps, ou par les petits ou les grands moyens.
C : Et merci à L’Autre Canal pour ces trois jours où on peut boire du café, travailler avec les potes, ce ne sont pas tous les artistes qui peuvent faire ça.
L : Merci à Erling Haaland et Kobe Bryant de mettre des paillettes dans mes yeux toutes les semaines.
C : Et Christophe Gatineau de parler de la méthanisation. (rires)