"Je traque la fulgurance", entretien avec Terrier
Terrier est un aventurier, qui joue des paradoxes et des équilibres. Sa musique est une croisière punk, faite de repos et de révolutions, qui coulent et glissent sur sa grande voix, taillée pour dissiper les brouillards des détroits. L’alchimie est partout, dans ses rythmes et dans ses textes. Les ruelles sont des chaînes de montagnes, le matin est un nouveau monde, le soir est un ultime match de foot. Son premier ep, Naissance, est un recueil de nouvelles de chercheur d’or, comme on en fait plus. C’est rare et cool. Grande discussion, avec Terrier.
Quelle naissance évoque celle qui donne le titre à ton premier ep ?
Le mot Naissance est venu à moi, parce qu’il y avait un truc très fort, émotionnellement, au moment de la chanter. Je trouvais que l’idée d’un premier projet concordait avec cette énergie première de la vie.
Tu penses que faire de la musique, c’est une façon de se dévoiler par phases successives ?
C’est à dire que je me laisse aller à chaque fois quand j’écris. Je n’ai pas un plan en tête sur trois ans. Je sais que quand je vais travailler sur un album, je vais trouver une énergie commune dans ce qui se trouve dans mon ordinateur. Mais les thèmes et le degré d’intimité ne sont pas prévus à l’avance. Ça vient avec le temps.
Faire un premier ep, c’était aussi l’occasion nécessaire de fixer une identité musicale ?
Tout à fait. Avec la période, j’ai pu prendre le temps de le produire, c’est aussi pour ça que je l’ai fait tout seul, jusqu’au mixage. J’ai pu prendre le temps de comprendre ce qui me plaisait vraiment, quelles directions je voulais prendre, quelles émotions je voulais transmettre. Avec la pause imposée par le Covid, j’ai pu avancer en profondeur sur mon propos musical. Cet ep est plus profond qu’il ne l’aurait été dans une vie normale. Il y a plus de recherches. Après, ça ne veut pas dire qu’il est mieux, ou moins bien…
Avoir la main sur toutes les étapes, c’était une condition pour être pleinement satisfait ?
Ça s’est fait un peu naturellement. À la base, je ne voulais pas faire comme ça. Ce n’est pas moi qui gérait ça à la base, mais je n’étais pas satisfait du résultat. Alors j’ai proposé mes versions à mes équipes. Ça s’est révélé convaincant. Avec la période, j’ai pu assumer cette charge de travail supplémentaire. J’ai pris le temps de faire les choses, c’était un confort.
Tu penses que cette façon de faire va perdurer pour la suite ?
Pour le moment je ne sais pas, c’est un peu tôt. Ce qui est sûr, c’est que je vais continuer d’expérimenter. Là, j’ai fait des erreurs. J’apprends. Et puis il y a des choses que je n’ai pas pu tenter cette fois-ci pour différentes raisons. Par exemple, j’ai envie de faire un live en studio, avec d’autres musiciens, sans métronome, et tout le monde joue. Pour amener de la vie et voir ce que ça donne.
Qu’est-ce que tu as appris sur toi en faisant ce projet ?
Que j’étais têtu ! (rires)
Que je suis déterminé. Ça peut me jouer des tours, comme ça peut être une qualité. Pendant la phase de création de ce projet, je me suis rendu compte que j’étais un bosseur, et que j’avais tendance à avoir la tête dans le guidon.
Avec ce cd, à travers les textes, j’ai aussi compris des choses sur mes relations. On ne dit pas assez souvent aux gens qu’on les aime, qu’on a ça dans le ventre, qui grouille. Et finalement, ça ressort avec les chansons. Alors, avec la chanson, la relation évolue, elle devient meilleure encore. C’est assez rigolo, j’ai quelques relations qui ont changé comme ça.
Il restera au moins ça, alors, de Naissance.
Oui, voilà. Je suis quelqu’un de très pudique dans la vie, ce n’est pas évident de dire les choses. Ça m’aide beaucoup de le faire avec les chansons.
Qu’est-ce que tu as osé faire, avec ce premier projet ?
J’ai osé le sortir sur mon propre label. C’est un truc qui est flippant aujourd’hui. Il y a un sentiment de solitude contre les grosses machines. Je me bats, avec mes armes, contre les majors, et pour le moment, je suis content du résultat.
Je suis quelqu'un de très pudique dans la vie, les chansons m'aident à dire les choses
Tu es même allé, et ça, je trouve ça trop cool, jusqu’à sponsoriser ton club de foot !
Ah oui. C’est un délire que j’avais en tête. C’est trop drôle de voir arriver les joueurs sur le terrain avec le maillot Terrier. Quand ils gagnent, ils mettent une vidéo avec les maillots. C’est beau.
Mais pour le côté osé, voilà, c’est plutôt que c’est fait-maison de A à Z. L’avantage, c’est qu’il y a peut-être plus d’âme et de sincérité.
Et ça raconte aussi quelque chose sur être jeune et entreprendre dans la musique en 2021.
Oui, voilà. Même si les temps sont durs, je crois qu’il faut oser quand on peut. Ce qui est bien c’est l’indépendance. C’est important, cette liberté, quand on est artiste.
Il en a été question, au moment de construire ton identité musicale ?
Je ne me suis pas posé de question, quand j’ai commencé à faire ce que je fais. C’est arrivé quand j’ai été approché par des maisons de disques justement. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à travailler avec des managers avec qui l’humain est l’atout n1. J’ai mis du temps à les trouver, mais c’était important que ça soit les bonnes personnes, pour qu’elles prennent soin du projet. J’ai senti que ce n’était pas l’argent leur moteur. Je sentais qu’ils me faisaient confiance, donc la confiance a été mutuelle très vite. C’est là, naturellement, qu’on a eu l’idée de monter un label. Aujourd’hui, j’en suis très fier, et je pense qu’artistiquement, c’est lié avec ce que je fais. Dans les chansons qui suivront, il y a cette idée d’interroger la passivité collective, de faire bouger les codes.
Est-ce qu’il y a justement quelque chose que tu n’as pas réussi à faire sur Naissance ?
Oui. Je ne suis pas totalement satisfait du mixage. C’est moi qui l’ai fait, et au bout d’un moment je n’avais plus de recul, et je n’arrivais pas à être satisfait. On me disait que ça convenait mais je n’ai jamais pu m’en persuader. Je pourrai faire mieux avec le temps.
Je pense aussi qu’il y aura de plus en plus de maturité dans les textes, et dans la manière de les emmener. Mais encore une fois, je laisse le temps faire. J’écris et je chante depuis peu de temps, alors je propose une forme de chanson naïve et spontanée. Peut-être qu’avec le temps, je vais me poser plus de questions, donc ça rendra différemment.
Je traque la fulgurance
Et c’est intéressant, et rare, aussi, de pouvoir fixer l’énergie des premières fois, et des bredouillements, comme le mixage imparfait dont tu parles.
Je suis d’accord. En plus, ça fait une anecdote. Et en plus, ça veut dire que l’album sera forcément mieux. J’aime l’idée de procéder par paliers. L’idée de la perfection immédiate m’inquiète. Comment on fait après ? Quand tu fais un premier ep totalement parfait, et bourré de tubes, tu ne dois plus dormir. Moi j’aime dormir. (rires)
Comment tu fonctionnes pour les textes, on est sur de la fulgurance, ou sur beaucoup de travail et de couches ?
J’avoue que je traque la fulgurance. J’écris très peu. Mais vraiment très très peu. Je dois écrire beaucoup plus. Ce n’est pas un exercice évident pour moi. Quand j’ai une phrase je brode autour. Pour Rue des pervenches, j’avais la démo musicale sur mon téléphone. Un soir en rentrant de soirée, avec des amis, on est passés par la fameuse rue des pervenches. J’ai mis la démo, et on était trop dedans, ça marchait. Le lendemain, j’avais le texte, qui est resté le même. J’ai voulu le retravailler, mais il n’y avait plus la fraîcheur. Quand je veux retravailler un texte, je perds le truc que j’aime bien. J’aime quand c’est brut.
Et musicalement ?
Musicalement c’est très différent. Parfois, c’est des guitares que j’enregistre sur mon dictaphone. Parfois j’ai le texte avant le morceau, donc j’imagine un morceau que je reproduis ensuite. Je pars aussi quelques fois avec une feuille blanche et la volonté de composer, arranger. Bandit, ça s’est fait comme ça. C’est un peu de la cuisine. T’as tes accords, tu as envie de mettre une batterie, de remonter quelque chose. C’est une autre façon de construire un morceau. Mais je dois t’avouer que je n’ai pas de règles. C’est une question de moments. Je ne me force jamais. C’est de l’instinct.
Qu’est-ce qui t’a nourri pendant la création de Naissance, en musique et ailleurs aussi bien sûr ?
J’ai failli te répondre Carrefour City…
Nan en vrai c’est compliqué comme question, les titres ont 1 an et demi d’écart entre eux. Il s’est passé un tas de trucs. Les plus vieux, j’ai même pu les jouer en concert, et les modifier en fonction de ce qui marchait ou pas. Mais globalement, moi je suis inspiré par des situations de la vie. C’est aussi vrai que quand je suis dans une période de création, j’écoute très peu de musique. Juste pour comparer sur des détails techniques pour le mixage et les arrangements. Pour ça, j’ai des albums références, qui n’ont rien à voir musicalement. J’aime aussi le côté percussif du cinéma. Imaginer les scènes et associer des sons.
L'idée de la perfection immédiate m'inquiète.
D’ailleurs, depuis le début, le projet a une vraie existence et cohérence visuelle.
Pour ça, j’ai été beaucoup aidé par Valérian, qui me suit depuis le début et qui est graphiste. C’est des codes qu’on s’est donnés depuis le début. J’avais en tête l’esthétique d’un magazine punk des années 90. Noir et blanc avec de la parcimonie pour la couleur. Il a su capter le truc. Encore une fois c’est l’humain.
Dernière question, qu’est-ce que ça t’évoque la première pluie ?
L’odeur sur le bitume chaud. L’été. À la fin du mois de septembre, et qu’il commence à pleuvoir sur le béton. Cette odeur me marque. Elle veut dire quelque chose.
Entretien réalisé par Arthur Guillaumot, pour Première Pluie en mai 2021
Durant toute la durée du festival, le collectif Première Pluie s’empare de Splash, le blog de L’Autre Canal.
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